vue sous ses aspects non strictement médicaux.
Par Jacques Ladyjensky, M.E. journaliste scientifique.

Les textes anciens se réfèrent-ils à la DMLA que nous connaissons ?

Trois gammes de textes anciens méritent d’être qualifiés d’authentiques, du moins dans une large mesure : les textes égyptiens, la Bible hébraïque, les cunéiformes sumériens. Ceux provenant d’Egypte sont souvent gravés dans la pierre d’origine, garantie d’authenticité s’il en est. La Bible, certes, est de transmission orale jusqu’à sa mise par écrit peu après 700 avant notre ère, mais ceci d’une manière que les érudits jugent « sérieuse », c’est-à-dire que plusieurs recoupements mènent au même texte. Un de ces recoupements, notamment, est significatif : plusieurs faits mentionnés aux Ecritures se sont vus confirmés comme historiquement authentiques, par des historiens notoires. L’histoire d’Abraham, par exemple. (Avant Abraham, il est fort possible que les textes relèvent de la légende.) Quant aux cunéiformes, ils ne parlent guère que de cultes religieux de l’époque, et (surtout) de contrats commerciaux.

   Le fils d’Abraham, Isaac, s’est-il vu frappé par la DMLA dans son grand âge ? Voici ce qu’en dit le texte de la Genèse au chapitre 27:1

  • Isaac était devenu vieux, et ses yeux s’étaient affaiblis au point qu’il ne pouvait plus voir.

   C’est ensuite au tour du fils d’Isaac, Jacob, selon Genèse  48 : 2-11. (N.B. Jacob est aussi mentionné sous le vocable Israel, nom qui lui fut donné plus tard.)

  • On l’annonça à Jacob en disant : Voici venir vers toi ton fils Joseph. Israel rassembla ses forces et s’assit sur le lit. (…)  A la vue des fils de Joseph, Israel dit : Qui sont ceux-là ?  Joseph répondit à son père : Ce sont les fils que Dieu m’a donné ici. Jacob dit : Amène-les moi, je vais les bénir. Les yeux affaiblis par l’âge, Israel n’y voyait plus bien. Joseph fit approcher ses fils, Israel les embrassa et les étreignit. Puis il dit à Joseph : Je ne pensais plus revoir ton visage, et voici que Dieu m’a même fait voir ta descendance !

   Il semble ici que Jacob n’avait pas encore complètement perdu la vue, chose bien compatible avec la DMLA.

   En continuant l’examen des textes bibliques, j’arrive au Premier Livre de  Samuel 3.1 et à  1 Samuel 4. C’est l’ère où le peuple hébreu était gouverné par les Juges (après les Patriarches, et avant les Rois). Il est question du juge  Eli :

  • Le jeune Samuel était au service de l’Eternel devant Eli (…) En même temps, Eli, qui commençait à avoir les yeux troubles et ne pouvait plus voir, était couché à sa place (…) dans le temple de l’Eternel, où était l’Arche.
  • (…) Les Philistins livrèrent bataille, et Israel fut vaincu. Chacun s’enfuit dans sa tente. La défaite fut très grande, et il tomba d’Israel trente mille hommes de pied. L’arche de Dieu fut prise, et les deux fils d’Eli, Hophni et Phinée, moururent. (…) Eli était âgé de  98  ans, (4,15) il avait les yeux fixes et ne pouvait plus voir. L’homme dit à Eli : J’arrive du champ de bataille (…) Le peuple a éprouvé une grande défaite, et même tes deux fils, Hophni et Phinée, sont morts, et l’Arche de Dieu a été prise. A peine eut-il fait mention de l’Arche de Dieu, qu’Eli tomba de son siège à la renverse, à côté de la porte. Il se rompit la nuque et mourut. C’était un homme vieux et pesant. Il avait été Juge en Israel pendant quarante ans.

    Et puis encore, ici en  1 Rois 11 :29  et  1 Rois 14-4 :

  • Dans ce temps-là, Jeroboam, étant sorti de Jérusalem, fut rencontré en chemin par le prophète Achija de Silo, revêtu d’un manteau neuf. Ils étaient tous deux seuls dans la campagne.

(…) La femme de Jeroboam fit donc ainsi ; car elle se leva, alla à Silo, et entra dans la maison d’Achija.  Achija ne pouvait plus voir, parce que ses yeux étaient obscurcis, à cause de la vieillesse.

   Dans Tobie 14 : 1-3, on parle de Tobit, qui perdit la vue à l’âge de 62 ans, la retrouva avec l’aide de l’ange Raphaël (11,7-14) et mourut à l’âge de 112 ans.

  A mesure qu’on se rapproche de notre ère, je vois de moins en moins de mentions de cécité, mais il faut observer que, parallèlement, les âges des personnages diminuent. Or, le « L » de DMLA est clair, cette pathologie est liée à l’âge. Dans les cas qui viennent d’être cités, les âges (tels que cités en d’autres passages) s’étalaient entre 100 et 120 ans. Plus tard, ils deviennent semblables à ceux de notre ère.

   A noter néanmoins une petite phrase révélatrice dans Encyclopedia Judaica, au chapitre Blindness : Unusually large number of Talmudic sages are blind.

   Du coté des textes égyptiens à présent, tels que gravés dans les stèles, de longs examens n’arrivent pas à déceler de mentions de cécité. Jamais. Et pourtant le chiffre des âges est souvent élevé. Voyez tel fonctionnaire qui célèbre sa retraite à 110 ans, avec les yeux en pleine forme… On peut par exemple citer des textes mentionnant les mémoires de Ptahotep, vizir du pharaon Izezi de la Ve dynastie :   Ce n’est pas peu de chose ce que j’ai fait comme temps sur terre : j’ai passé 110 années de vie que m’a données le Pharaon.  Amenhotep, le célèbre architecte de la  XVIIIe  dynastie, dont la statue est une des pièces maîtresses du Musée du Caire, déclare, selon le texte gravé dans ladite statue :  J’ai atteint 80 ans, comblé de faveurs par le roi : j’accomplirai 110 ans.   Romé-Roÿ, qui dirigeait le clergé d’Amon à l’époque de Ramsès II, écrit :  Qu’Amon me récompense à cause de mes actes bienfaisants, qu’il m’accorde  110  ans que je passerai à porter sa statue (…) que j’aille et vienne dans la maison d’Amon, recevant ses faveurs jusqu’à ce que j’atteigne  110 ans comme tout homme juste.

   De nombreux autres textes existent encore dans ce genre, jusqu’à la XXe dynastie et un peu au-delà, après quoi la durée de vie des Egyptiens semble bien avoir décliné comme chez les Hébreux (nous parlerons, si vous le jugez bon, de cet état des choses dans une prochaine chronique).

   Nulle part il n’est question de problème de perte de vue.

   Revenons un instant chez les Hébreux pour mentionner la fin de vie de Moïse, personnage historique s’il en est. Les textes bibliques lui donnent 120 ans, et ajoutent, fait souligné par nombre de commentateurs :  Les yeux de Moïse ne s’étaient nullement affaiblis avec l’âge (Deutéronome  34 :7). Un peu comme si « on aurait pu s’y attendre »…Mais voilà : Moïse n’était pas Hébreu, il était Egyptien, selon l’opinion d’une grosse proportion (plus de la moitié) des érudits de nos jours.

   Peut-on ici faire une pause et tenter, avec prudence, une première conclusion : les textes anciens donneraient-ils à penser que la DMLA es, bel et bien, une pathologie héréditaire ?

   Il est un fait en tout cas, c’est que les peuples hébreux et égyptiens sont, génétiquement, catégoriquement différents.

   De nos jours, depuis 2006, des études universitaires savantes ont bien fait apparaitre qu’il existe un caractère héréditaire à la DMLA.  Dans mon livre CULINAIRE  OCULAIRE,  j’en recense  6, sous les références respectives E 81,  E 39,  E 86,  E 90,  E 96, E 95. Dans l’étude sous référence E 39, on va même jusqu’à proposer un facteur de risque accru de progression vers DMLA avancée : risque doublé pour les sujets homozygotes pour le premier gène mentionné dans l’étude, et quadruplé en ce qui concerne le second. Ce risque augmentait fortement pour les sujets qui avaient les deux, et montait jusqu’à un facteur de multiplication 19 si en outre ils étaient fumeurs et obèses. Mais plus tard, d’autres études semblent indiquer que l’élaboration de chiffres de risque, dans ce genre, était « intéressante, mais quelque peu prématurée ».